Les jeunes en errance

labyrinthe2Les jeunes en errances sont des personnes qui revendiquent leur statut de marginalité en affirmant avoir choisi ce mode de vie dans une démarche de mise en cohérence entre leurs pensées et leurs actes. Voila pour la définition anthropologique « d’errance active ». Mais qui sont ces jeunes? Que font-ils? Mais pourquoi parle-t-on d’errance? Petit introduction à ce phénomène marginal mais important.

Qui sont-ils?

 

Selon l’étude de François Chobeaux et Marie-Xavière Aubertin (1), les jeunes en errance seraient entre 10 000 et 30 000 en France. On pourrait plus communément les appelés « jeunes SDF », mais eux-mêmes préfèrent être nommés des « zonards » ou « punks ». Ce sont donc des jeunes qui vivent dans la rue, ayant une culture de la ville et de la rue un peu différente. Forment-t-ils une véritable contre-culture?  Certains punks ou baba cool revendiquent une contestation sociale radicale, mais la grande majorité des zonards fait face à une grande precarité et ne cherche pas à entrer dans le jeu social, seulement à survivre. Pourquoi vivent-ils en ville et pas tranquillement à la campagne? Ils expriment souvent un rejet des espaces de vie ruraux, où l’on s’ennuie parce qu’ « il n’y a rien à faire ». Ils s’y sentent enfermés, défavorisés, loin de tout. Ils sont ainsi visiblement plus présents en ville qu’à la campagne.

 

Ces jeunes en errance sont les enfants des petites et moyennes villes de province, les grandes métropoles étant le lieu d’origine de très peu de jeunes en errance. Hier comme aujourd’hui, ils sont nés dans des familles populaires, leurs parents étaient ouvriers ou employés. On compte environ 40% de femmes parmi les jeunes en errance ; on en comptait environ 15% il y a 20 ans. Il y aurait 3 catégories: les jeunes inadaptés qui sont le fruit d’une maltraitance institutionnelle involontaire (enchaînement de foyers, maisons d’accueil,…); les jeunes plus normaux mais qui passent mal le cap de l’adolescence (revendication radicale de la liberté); d’autres encore sont des errants sur le tard, suite à des problèmes durant leur insertion dans la vie d’adulte (mais ayant déjà à la base des fragilités).

 

Pourquoi est-ce que cela existe?

 

 

Pour bien comprendre le phénomène, il faut considérer 3 aspects: la dimension psychologique et ses réalités pathologiques dans l’errance, la dimension socio-économique qui marginalise l’individu, entraînant une dimension sociologique de déviance.
D’un point de vue « clinique », cette errance se développe sur un terreau fécond fait d’abandons, de difficultés d’expression de la personnalité, de fragilité de la conscience de soi, et d’enfermement dans un fonctionnement pulsionnel fait d’immédiateté et de quête permanente de la jouissance réactivé à l’adolescence.(2) Pour René Roussillon, professeur de psychopathologie clinique, c’est un « état de détresse » qui s’installe quand le contrat narcissique familial n’existe pas, ce qui est à la base des grands désespoirs à venir (3).

 

Pour Patrick Declerck (4), cet enfermement dans l’errance qui fait à la fois blocage et protection, est l’évidence de la forte impossibilité qu’ont les personnes à sortir dynamiquement de ce dilemme. La remobilisation sociale ne serait donc pas la solution.  L’errance serait à la fois une fuite permanente du réel et de soi, et est en cela même une protection de soi faute de mieux. Mr Declerck prône donc plutôt un accompagnement de ces personnes pour éviter qu’ils perdent toute dignité. Mais il est très difficile de les sortir de leur situation socio-économique, non seulement parce qu’ils sont incapables de chercher un travail, mais aussi parce que la société les marginalise, comme on va le voir.

 

Du point de vue sociologique, Howard S. Becker montre comment la marginalité peut être comprise comme étant le produit d’une réaction sociale. Pour lui, ce sont les réactions des autres, majoritaires, qui donnent et disent le caractère déviant ou non d’un acte. Celui étiqueté comme déviant tend alors à se conformer au rôle imposé, parfois à renforcer ses comportements, légitimant à chaque fois et de plus en plus la norme de comportement qui lui a été assignée. On rencontre aussi dans Becker la notion de contre-culture, qui concerne un certain nombre de jeunes en refus des normes sociales au sein de l’errance. Et justement, pour David le Breton (5), ces conduites qui peuvent paraître hors normes sont en réalité des chemins de quête de soi, des « expériences douloureuses et nécessaires » pour devenir soi-même, sans être pour autant intégrées dans un processus social ou politique construit. Les notions de quête symbolique et de quête initiatique individuelle sont au cœur de sa proposition de compréhension de l’errance, qu’il intègre plus largement aux conduites juvéniles à risques.

 

Les chiens, symbole de l’errance

 

le grand soir

Les chiens sont devenus une réalité incontournable de l’errance. Ils ont une fonction matérielle: tenir chaud, protéger, aider à faire la manche. Ils ont également une fonction symbolique: marque de l’identité de marginal, preuves de la capacité à s’occuper d’un animal avec à la clé une valorisation narcissique. Les fonctionnements collectifs des chiens, vite organisés en meutes très hiérarchisées, sont également un repère pour ces jeunes qui vivent dans des groupes aux structures peu formalisées. Cependant, Les chiens sont également une très efficace machine à empêcher, à bloquer des réaccrochages sociaux possibles par les refus et les rejets qu’ils génèrent, et ici on ne peut s’empêcher de penser que le choix de prendre un chien, marqueur connu de franchissement d’une nouvelle marche dans la vie d’errance, renforce en même temps le statut de marginalité en alimentant alors un processus d’auto-exclusion dont la responsabilité est renvoyée sur les structures d’action sociale non-accueillantes.

 

Conclusions

Je n’ai pas abordé le sujet des addictions, pour ne pas donner une note trop négative à l’article et vous pourrir la journée, même si les drogues vont de pair avec l’errance. Ce qui est intéréssant à mes yeux, c’est la non-rencontre dans les villes entre ces jeunes en errance et les personnes « normales » au sein de la société. Que ressentez-vous lorsque vous voyez ces jeunes SDF? Y voyez-vous votre prochain ou bien un être différent? La prochaine fois que vous les verrez, pensez à votre regard, il en dit long sur les mécanismes d’identification qui opèrent à notre insu dans notre développement personnel et qui sont sources de marginalisation pour certains. Je vous invite à regarder le film Le Grand Soir, avec Benoît Poelvoorde et Albert Dupontel, qui décrypte, d’une manière édulcorée et sympathique, le phénomène de l’errance.

Références:

(1) François Chobeaux; Marie-Xavière Aubertin, Jeunes en errance et addictions, Juin 2013, CEMEA, http://www.cemea.asso.fr/IMG/pdf/jeune_errance_2013-2.pdf

(2) Jan Olivier, « Quelle clinique avec les jeunes en errance ? », Vie Sociale et Traitement, n° 101, 2009, p. 72-77.

(3) ROUSSILLON René, « L’errance identitaire », « souffrance psychique ; contexte social et exclusion », Actes
du colloque de Lyon Bron, ORSPERE et École Rockfeller, 1997, p. 83-86.

(4) Declerck Patrick, Les naufragés. Avec les clochards de Paris, Plon, Paris, 2001.

(5) Le Breton, David, En souffrance. Adolescence et entrée dans la vie, Métailié, Paris, 2007.

2 réflexions au sujet de « Les jeunes en errance »

  1. J’étais en train de lire les derniers articles du Laboratoire, que ça me fait plaisir de voir relancé, quand je tombe sur cet article que je trouve construit sur des stéréotypes qui, au final, assimilent l’errance à une vie de « punk à chien » avec références de chercheurs agrées à l’appui. je suis déçue, au regret de l’avouer!
    Le ton qui traverse l’article a la prétention de définir ce phénomène ample avec une seule facette, celle qu’on voit le plus dans les villes. Le choix d’une vie nomade, pour des longues ou courtes périodes, se manifeste auprès de personnes très différentes de celles décrites en cet article et il n’ y a pas une sorte de psychopathologie derrière tous le monde…la définition de normal qu’y est employé pour définir la sédentarité, majoritaire dans notre culture, me semble porter déjà un jugement de valeur sur ce sujet.
    Un jeune (ou adulte) en errance, peut correspondre au profil décrit ci-dessus, mais aussi à une personne en quête d’expérience, qui se déplace de ferme en ferme (avec le woofing par exemple) ou ecovillage pour apprendre et rencontrer d’autres modes de vie que celui citadin, en clignant l’œil à la permaculture et aux énergie renouvelables.
    Dommage que ces jeunes qui sont en errance pour construire une société plus respectueuse de l’environnement et qui souhaitent apprendre à construire avec leurs main au lieu d’être que des consommateurs n’aillent pas une place dans cet article. Pourtant c’est un phénomène très intéressant, d’un point de vue sociopolitique justement!

    • Cher Giulia,

      Je suis sincérement impressionné par la qualité de ton français, je te félicite. Je te remercie pour ce commentaire et de ton intérêt pour le Laboratoire.
      Comme tu l’as vu, c’est moi qui est écris cet article sur les jeunes en errance. Je l’admets volontiers, je ne suis pas expert dans le domaine, je me suis donc référer à différents documents de spécialistes en séléctionnant les arguments qui me semblaient les plus convaincants et les plus représentatifs pour comprendre le phénomène des jeunes en errance.

      Il est évident que l’article ne couvre pas toutes les facettes de l’errance. Celle dont tu parles, le woofing, me semble effectivement très intéréssante, mais cela reste un phénomène marginal, une minorité des jeunes adultes en errance. L’article avait au contraire pour but de généraliser, d’expliquer les mécanismes majeurs de la marginalisation de certains individus dans la société, la majorité des jeunes livrés à eux mêmes vivant dans les rues des villes.

      Ceci dit, ma chère Giulia, pourquoi ne pas écrire toi même un article sur le sujet puisque tu sembles le maîtriser? Je serai ton premier lecteur. A très bientôt,

      Guillaume

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