Comprendre la notion de « changement social »

labyrinthe2La notion de changement social porte à réfléchir aux éléments constitutifs d’une organisation sociale et à la capacité des acteurs à influencer cette organisation. Est-ce le monde des idées et des connaissances qui fait évoluer notre société? Est-ce au contraire la réalité très concrète des rapports de production? Et finalement, comment génère-t-on un changement ?

Tout d’abord, il y a innovation lorsqu’un processus de diffusion permet à une découverte de traverser le corps social et le transformer. L’innovation répond en premier lieu à une attente, un besoin au sein de la société, sans quoi les acteurs n’auraient aucun intérêt à sa diffusion et il n’y aurait donc pas de changement (ou du moins pas celui souhaité). Elle est en deuxième lieu liée à une question de moyens, tant dans les capacités de développement de l’idée (prospection, recherche) que dans les possibilités de sa diffusion.

On perçoit donc, en quelques phrases, les innombrables facteurs qui influencent le processus de création et de diffusion d’une innovation. Mais se borner à souligner la complexité du phénomène n’apporte pas grand chose, encore faut-il trouver des clés de lecture perspicaces pour appréhender ce changement. Voyons du côté des pères de la sociologie des organisations.

Les déterminants du changement

Pour Max Weber, les préférences collectives sont déterminantes dans l’acceptation du changement. Autrement dit, c’est l’acceptation de nouvelles formes collectives de légitimité de l’action qui permettent aux modernistes d’imposer un ordre nouveau. Réciproquement, c’est la stabilité de l’ordre social, le pouvoir du système de sanction envers les déviances, et donc le respect du dogme et des valeurs collectives qui limitent la diffusion du changement.On voit donc que le changement serait lié à la structure même de la société, qu’il reste encore à définir.

Pour Durkheim, lorsqu’il y a un brusque changement des conditions économiques (dans la productivité du travail), démographiques (boom des naissances ou au contraire vieillissement de la population), ou technologiques (la gestion des ressources), la société devient plus ou moins perméable aux changements sociaux. Par exemple, une exode rurale porte une grande partie de la population à reconsidérer la notion de famille, la place de l’individu, et finalement le rapport à l’ensemble des normes traditionnelles, ce qui peut pousser au changement du corps social.

Aux trois grands groupes de facteurs (économiques, démographiques et technologiques), on pourrait y ajouter les déterminants sociétaux, tels que la nature du lien social, les croyances, le mode de vie (urbain ou rural, sédentaire ou nomade). Autrement dit, la qualité, la nature et la fréquence des rapports sociaux sont aussi liés à la perpétuation ou l’extinction de certaines valeurs, coutumes, normes, pratiques, etc.

Finalement, on retombe à nouveau dans une complexité de facteurs influençant le changement, sans réussir à lui donner un sens, une direction. Et pourtant, lorsque le changement émane d’une volonté, lorsqu’il devient prescriptif (c’est le propre du politique), réussir à maîtriser ce changement est un impératif. Cet article se propose d’identifier deux modèles permettant d’analyser l’impact d’un changement volontaire.

La théorie de la traduction

Certains chercheurs comme Callon et Latour cherchent à individualiser les différentes phases qui permettent à une volonté d’influer sur un espace. Ils considèrent cette volonté comme un énoncé qui va être traduit par les acteurs en fonction de leur perception cognitive et leurs intérêts. Ainsi, une traduction sera réussie si les autres acteurs s’alignent sur l’énoncé originel. Cette traduction considère alors différentes étapes, à savoir 1) la problématisation, c’est-à-dire le besoin pour une idée ou un concept de répondre à une attente; 2) l’intéressement,  c’est-à-dire le processus de stabilisation des identités et rôles des différents acteurs qui sont introduits dans le réseau ; 3) l’ « embrigadement », qui correspond à l’ensemble des interactions entre les acteurs qui permettent à l’intéressement d’aboutir et donc de stabiliser le réseau; et enfin 4) « la mobilisation » lorsque le réseau-acteur est cohérent et que les différents éléments du réseau sont coordonnées. Le changement est alors institutionnalisé.

Cette conception du changement permet de le considérer comme un processus, évoluant dans un espace temporel où opèrent des dynamiques interactionnelles. Callon et Latour distinguent ainsi les rapports de force entre les réseaux d’acteurs, entre le porte-parole et les membres d’un même réseau, mais aussi entre les acteurs et les actants (les éléments non humains du réseau). L’intérêt de cette conception est qu’elle permet d’analyser le changement au sein d’une organisation non pas d’après une liste infinie de facteurs, mais à partir des interactions, soit en reprenant les outils d’analyse sociologiques (cartographie des acteurs, observations participantes, entretiens, etc.).

Le modèle de causalité

Ce modèle conçoit toute politique publique comme une construction théorique, comprenant une hypothèse causale et une hypothèse d’intervention, façonnant un modèle de causalité. Il distingue trois types d’acteurs, à savoir

– les autorités politico-administratives (acteurs publics), qui élaborent et appliquent la
politique publique ;
– les groupes cibles (acteurs privés ou publics) : à l’origine du problème collectif, les
activités et décisions des groupes cibles font l’objet d’une intervention concrète de l’Etat;
– les bénéficiaires finaux (acteurs privés ou publics) : touchés par le problème collectif,ils bénéficient du changement de comportement des groupes cibles.

Ce triangle des acteurs forme un modèle de causalité. Ce modèle intègre la définition
du problème public, l’hypothèse causale, l’hypothèse d’intervention. La définition du
problème public fait le lien entre les bénéficiaires finaux et les autorités politico-administratives. L’hypothèse causale fait le lien entre groupes cibles et bénéficiaires finaux, en répondant à la question de savoir qui est “coupable”, ou du moins responsable du problème. L’hypothèse d’intervention relie les autorités politico-administratives avec les groupes cibles en établissant comment le problème public peut être atténué, voire résolu.

Cette conception du changement permet d’appréhender la construction sociale d’un phénomène et le positionnement des différents acteurs en fonction de l’élément analysé. Elle a le mérite de faciliter l’action publique, qui devient finalement une combinaison de ressources (humaines, juridiques, politiques, financières, temporelles, et la confiance) et d’acteurs pour modifier l’ordre existant.

 

Pour aller plus loin:

Madeleine Akrich, Michel Callon, Bruno Latour (dir.), Sociologie de la traduction, 2001, http://books.openedition.org/pressesmines/1181

Peter Knoepfel, Philippe Warin (éds), Analyse de politiques publiques –
grands exercices d’application, 2009

 

 

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