6 idées reçues sur les jeunes et la politique

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Chaque scrutin est l’occasion d’évoquer leur abstention, particulièrement élevée. Et puis… pas grand-chose. L’association nationale des conseils d’enfants et de jeunes (Anacej), qui regroupe des communes dotées d’un conseil municipal des jeunes, a commandé une double enquête sur le vote des nouvelles générations, à l’issue des élections municipales de mars et après les élections européennes de mai. Un millier de jeunes entre 18 et 25 ans, et autant de 15-17 ans, ont répondu à un long questionnaire. Les résultats, dont l’Anacej a donné la primeur au Monde Campus, vont à l’encontre d’un bon nombre d’idées reçues, comme l’explique le politologue Michael Bruter, professeur à la London School of Economics, qui a dirigé l’étude.

  • Idée reçue n°1 : les jeunes s’abstiennent, mais ils voteront en vieillissant

« C’est une idée très répandue, et fausse : l’abstention des jeunes est générationnelle. De précédentes études ont montré qu’un jeune qui s’abstient aux deux premiers scrutins auxquels il pourrait voter a 80 à 90 % de chances de devenir un abstentionniste chronique. Si son accueil dans la vie démocratique est raté, c’est pratiquement perdu pour toujours. A l’inverse, s’il vote lors de ces deux premières élections, il deviendra un participant chronique. Cela n’empêchera pas des absentions ponctuelles, mais globalement, il s’investira dans la vie démocratique. »

  • Idée reçue n°2 : les jeunes ne s’intéressent pas à la politique.

« Certains expriment du désintérêt. Mais ce qui domine, c’est un sentiment de frustration, c’est-à-dire qu’ils ont un vrai désir de participation, assorti d’une forte déception, car l’offre politique est en décalage avec leurs attentes. Nous avons pris soin, dans le questionnaire, de ne pas demander frontalement aux abstentionnistes :« pourquoi ne votez-vous pas ? », ils auraient eu un intérêt social à se déclarer déçus plutôt que non intéressés.

Mais ceux qui votent témoignent que le sentiment dominant, dans les discussions avec les jeunes abstentionnistes, est le sentiment de déception. Une majorité des 18-25 ans (53 %) imputent l’abstention aux politiques plutôt qu’aux abstentionnistes eux-mêmes (18 %). Ils citent comme principales causes les mensonges des politiques (71 %), le fait que les campagnes ignorent les préoccupations réelles de la population (45 %), puis la malhonnêteté des hommes politiques. Leur frustration en amène certains à envisager des solutions radicales, comme voter aux extrêmes (43 %) ou participer à une manifestation violente (25 %). On est loin de l’apathie évoquée par certains commentateurs. L’histoire le montre d’ailleurs : lors de la chute du communisme et, récemment, du printemps arabe et du mouvement Occupy Wall Street, les jeunes sont toujours aux avant-postes.

C’est une génération idéologique, dans le sens où elle met en place ses propres idées. Les jeunes refusent d’adhérer en bloc aux idéologies existantes, de remettre un chèque en blanc aux partis. Ils ont des valeurs politiques qu’ils veulent défendre de manière individuelle et personnalisée. Ce constat est plutôt une bonne nouvelle : alors qu’on ne peut pas faire grand-chose contre le désintérêt, on peut imaginer de nombreuses façons d’agir contre la frustration politique. »

  • Idée reçue n°3 : les jeunes pensent que la démocratie ira mieux demain

« D’une façon générale, ils sont très négatifs : 61 % des 18-25 ans et 62 % des 15-17 ans s’attendent à ce que l’abstention des jeunes empire dans les prochaines années. Ils ont le sentiment que la démocratie française ne fonctionne pas, particulièrement à l’échelon national, et même qu’elle fonctionne plus mal chez eux qu’ailleurs. Une lueur néanmoins : la démocratie européenne, qu’ils notent particulièrement mal actuellement (4,7/10) est la seule pour laquelle ils imaginent une amélioration future. D’ailleurs, les jeunes se sont un peu moins abstenus que l’ensemble des électeurs français aux dernières élections européennes (+ 0,6 %). Et avec la crise, ils se sentent encore plus Européens, alors que sur la même période 2009-2013, les 45 ans et plus ont effectué le mouvement inverse. »

  • Idée reçue n°4 : les jeunes votent volontiers aux extrêmes

« C’est une illusion d’optique. Dans la mesure où ils se désintéressent des partis traditionnels, on en a déduit qu’ils se rapprochent des extrêmes. En réalité, tous les grands partis, Front de gauche et Front national compris, sont rejetés. Les jeunes sont plus enclins que la moyenne à voter pour de petites listes, des candidatures non partisanes ou appelant au rassemblement au-delà des partis. Aux européennes, les partis fédéralistes UDI-MoDem et les Verts ont ainsi bénéficié d’un plus grand soutien des jeunes que de l’ensemble de la population. Lors des deux scrutins considérés, les 18-25 ans ont classé l’UMP, le PS et le FN dans le même ordre que l’ensemble des électeurs. 21 % des sondés auraient voté pour le FN, contre 24,86 % pour l’ensemble de la population ; 7 %pour l’extrême gauche ou le Front de gauche contre 7,93 % au niveau national.

  • Idée reçue n°5 : ça irait mieux si la communication politique s’adaptait aux jeunes

« L’abstention des jeunes résulte d’un problème de fond, pas de forme. Ils rejettent l’ensemble du discours, avec le sentiment qu’il ne s’adresse pas à eux mais aux autres générations. Quand on essaie de changer la forme sans modifier la substance, le rejet peut même être encore plus fort. J’ai mené une expérimentation lors d’un véritable scrutin en Grande-Bretagne : la moitié des jeunes participants recevaient les tracts électoraux classiques, l’autre moitié était exposée aux tweets réels des différents candidats : cette dernière a moins voté que la première. Paradoxalement, les jeunes sont moins sensibles à la politique spectacle. Ils s’intéressent plus au contenu des programmes que le reste de l’électorat, et plébiscitent les applications d’aide au vote, qui permettent de comparer les idées des divers partis ou candidats. Ils ne considèrent pas du tout la démocratie électorale comme un système dépassé. Ils tiennent beaucoup aux référendums, à la démocratie directe. La participation électorale est pour eux connotée positivement, au contraire de l’absention. Eux-mêmes et leur entourage, familial et amical, auraient une meilleure opinion d’eux s’ils votaient. Le sentiment est encore plus marqué chez les 15-17 ans. »

  • Idée reçue n°6 : c’est une génération égoïste, qui s’intéresse peu aux autres

« Ils ont une envie d’intérêt collectif, et ne sont pas particulièrement sensibles aux discours promettant que leur propre situation va s’améliorer. Ils vont voter selon ce qui leur paraît l’intérêt général plutôt que leur intérêt particulier. Quand on les interroge sur les thèmes de campagne sur lesquels ils ont fondé leur vote aux élections municipales, ils citent d’abord les impôts locaux et l’économie, thématiques qui ne leurs sont pas propres, puis l’éducation et l’environnement, thèmes qui leur sont plus coutumiers et montrent bien leur « socio-tropisme ». D’autres études ont montré aussi leur intérêt pour la solidarité, et pour les libertés individuelles : ils sont beaucoup plus soucieux que leurs aînés que l’Etat n’intervienne pas dans leur vie privée.

Retrouvez l’intégralité de l’étude de l’Anacej : Les jeunes et le vote

Paru dans Le Monde.fr | 18.12.2014

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